Il y a des jours où il vaut mieux partir à la chasse.

Plaisirs de la Chasse

Pour la énième fois ce mois-ci, internet est en panne. Je suis dans ce qu’on appelle une zone blanche. Ce qui fait de moi une sorte d’extra-terrestre très chic et pur, intouchable en quelque sorte. Une liaison WIFI commune à tous les étranges habitants de la zone blanche nous relie au monde par le biais d’une antenne perchée en haut de la colline. Mais pas aujourd’hui. Mon mail retombe dans la boîte d’envoi au rayon salle d’attente. Ce n’est pas grave, il me reste le téléphone. Gaston, t’as le téléphon qui son ! A l’autre bout, je sens que le cadran s’allume joyeusement dans un des bureaux de Canal+ où l’on me concocte un pauvre contrat dont le montant ne paierait même pas le papier toilette de celui qui achète les droits du foot… et y’a person qui répond.Quoi que je regarde, quoi que je fasse, il y a un bout de technologie qui coince dans les entournures ou un humain qui a des courbatures. Mais où ai-je la tête ? On est Mercredi, la moitié des employés de ce beau pays est en train d’accompagner Riri, Fifi et Loulou au catéchisme, à la danse, à la gym et autre activité où ils se rendent en boudant pendant qu’ils ruinent leurs parents.

Je crois que je vais partir à la chasse. Cela tombe bien, le mercredi, c’est ouvert. Les écologistes, cette année sont plutôt occupés à supprimer le dimanche. C’est comme ça, au fil des ans ils varient sur les jours de la semaine où ils ont peur de se faire poivrer le derrière alors qu’il fait si froid l’hiver qu’en général ils préfèrent aller boire une bière plutôt que se les geler au détour d’un GR.

Je descends les champs détrempés au son guilleret des clochettes de mes chiens. Quelle équipe ! Il y a là Salsa, si vieille que sa tête ressemble à un téléviseur 4/3. Elle a tellement gratté de trous de taupes en cachette que son nez est bouché par la terre jusqu’à la quatrième génération. Datcha, sa fille, a meilleure mine mais est tellement museau en l’air qu’elle en oublie la moitié des taillis. Et puis suivent ses deux fils débutants qui ne savent pas encore ce qu’ils cherchent mais qui cherchent. Enfin, ma meute est complétée par un Bruno du Jura errant qui s’est invité chez nous lors des dernières chaleurs de ma chienne et n’est jamais reparti. Quelle trouvaille ! Ce chien perdu, qui n’a d’autres puces que celles qui le grattent et d’autre tatouage que celui des ronciers où il a couru, traîne ses longues oreilles au sol en claironnant de temps à autre de sa voix puissante. C’est de cet étrange équipage, qui fait le bonheur de mon marchand de croquettes, que je suis escortée au fil des doux reliefs qui entourent ma maison.
Il est là, le buisson à bécasses. Combien en ai-je vu, combien en ai-je raté ? Mais peu à peu, la plupart des arbres ont été arrachés pour faire place à des prés. Il ne reste plus au centre, dans un travers très abrupt, qu’une tignasse impénétrable de genévriers et d’épines noires. Les clochettes s’engouffrent dans ces tunnels à sanglier. Je suis en attente stéréo. Puis soudain, le silence.
Je ne peux rejoindre les chiennes que j’encourage de la voix à avancer un poil. Un clap clap presque sinistre précède deux bécasses au long bec. L’une s’envole vers le haut du vallon, l’autre se pose… A dix mètres de mes pieds. Je suis tellement intéressée par le film que j’en oublie d’épauler. L’oiseau ne m’a pas vue. La chienne s’arrête à nouveau. Je m’approche. Là, c’est un immanquable. Mon sang déforme mes tempes à force de battre. Je vais offrir la première bécasse de la saison au talent de Datcha. Hélas, La bécasse décolle et décroche direct à droite comme un pilote de chasse au ras du buisson. Si je tire, c’est un beau chien plombé que j’offrirai au talent de l’oiseau et non l’inverse. La bécasse qui n’est point sotte, remonte d’un coup sec bien plus loin avant de replonger comme un avion de manège. Misère. Datcha me tire la gueule, on peut le dire. Elle fonce les pattes au ras du bide, le cul retroussé et la truffe en hors-bord vers la planque probable de la dame au long bec. C’est généralement là que ça se complique. Piquée au jeu, je fonce dans les ronces : j’écrase les buissons telle une laie enragée, accrochant tout au passage, parfois bloquée un bras en l’air et la veste pendue à une branche, arborant au sortir du bois un superbe brushing préhistoire et une hure de marcassin qui a rencontré un chat sauvage. Je crois que la partie est perdue… Ou gagnée, suivant de quel côté on se place. Calmée mais bredouille, j’entame la pente qui me ramène à mon doux foyer. Les chiennes, vexées, clochettent  comme des brebis désœuvrées. Le Bruno du Jura, le nez au sol, cherche toujours le lièvre qui l’a semé le mois dernier.

Je crois qu’internet est revenu. Mais j’ai une sérieuse envie de dormir.